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Comment Jésus fut identifié à Dieu

Tout un cheminement de pensée, partant d’une rumeur sur Jésus, à partir de l’an 33 de notre ère, a conduit à sa divinisation, à peine un siècle plus tard.

À la lecture du livre de Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu (le Cerf, édition de 2008), on voit comment se répandit une rumeur sur l’identité de Jésus: Était-il l’envoyé de Dieu, le messie? Lui-même ne se préoccupait pas de cette rumeur, car son but était de prêcher le «royaume de Dieu», royaume spirituel de justice et de fraternité. Après sa mort, ses disciples ont consolidé la rumeur, en méditant sur sa mémoire, jusqu’à l’établir dans l’identité de Dieu.

La rumeur sur son identité, Jésus ne se préoccupe pas de l’éclaircir:

Avant l’an 33, où Jésus a commencé à se manifester, on ne sait rien de lui (sauf les récits de naissance, mais qu’ont-ils d’historique?). Il passait probablement pour un homme ordinaire.

Dès qu’il est devenu un homme public, la rumeur a couru qu’il serait «le christ», c’est-à-dire le messie annoncé par les prophètes, l’envoyé de Dieu, ce qui se disait aussi «Fils de Dieu», ou encore «Fils de David» ou «Fils de l’Homme». Jésus laissait dire sans se prononcer, son seul souci étant de pêcher le «royaume de Dieu», l’amour fraternel.

Les évangiles, nous dit Joseph Moingt, «ne montrent pas la préoccupation de Jésus de révéler son identité cachée, mais d’annoncer le Royaume qui vient … Il annonce le Dieu qui vient et c’est [son] lien à Dieu qui amène les gens à se poser des questions sur son identité; mais toujours Jésus maintient une distance entre lui et Dieu» (p. 260).

Dans la conviction de sa résurrection, les disciples relancent la rumeur:

Cette rumeur se serait éteinte à la mort de Jésus si la conviction de sa résurrection, qui s’installa parmi les disciples, ne l’avait relancée. Puisqu’il triomphait de la mort, c’est qu’il était effectivement l’envoyé de Dieu, le «Fils de Dieu». C’est ce qu’affirment les évangiles: début de l’évangile de Marc: «Évangile de Jésus, Fils de Dieu » ; conclusion de l’évangile de Jean: «Ces signes ont été [relatés dans ce livre] pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom» .

Glissement, d’abord timide, de la notion de Fils de Dieu à celle de Dieu Fils:

Les apôtres et leurs successeurs se remémorent la façon dont Jésus parlait de Dieu, dont il s’adressait à lui, dont il s’attribuait même certaines de ses prérogatives (remise des péchés, réinterprétation de la Loi…). Cette intimité avec Dieu, à leurs yeux, supposait une relation aussi étroite de Jésus avec Dieu que celle entre un fils et son père. Il disait d’ailleurs qu’il ne faisait q’un avec son Père. On tend alors à faire évoluer sa qualité de «Fils de Dieu» vers celle de «Dieu, le Fils».

Mais, selon Moingt, cette évolution est timide: «Dans le Nouveau Testament, l’attribution du nom de Dieu au Christ est extrêmement rare, et d’ailleurs discutable … [et] on ne peut pas soutenir que le récit évangélique comme tel, ni la prédication apostolique comme totalité, aient pour but de faire reconnaître la divinité du Christ … [On constate un] transfert au Christ des attributs divins de ’’seigneur’’ et ’’sauveur’’ ? donnés au Christ dans le Nouveau Testament, mais réservés à Dieu par l’Ancien» (p. 92-93).

Dans l’esprit de l’époque, la résurrection suppose la préexistence:

Avant d’affirmer la divinité, on a pensé à la préexistence de Jésus. Le mot ne figure pas dans le Nouveau Testament, mais on y trouve l’idée que l’envoyé de Dieu, annoncé par les prophètes, était déjà présent, avant sa naissance, dans sa mission de messie, de sauveur. On en venait à «identifier au Christ les messagers de Dieu interlocuteurs des patriarches, de Moïse ou des prophètes, qui leur étaient apparus sous des noms et des aspects divers…» (p.89).

Cette notion de préexistence s’appuie également sur le récit de la naissance du Christ «dans la mesure où la naissance était interprétée comme résultant de la descente en Marie de la Puissance ou de l’Esprit de Dieu» (p. 88). Cette Puissance fait «descendre» dans l’enfant à naître l’envoyé de Dieu préexistant. Mais il ne s’agit pas de la conception de l’enfant. Moingt précise (p.84): «Jamais l’annonce du Christ dans les Actes ou les lettres des apôtres ne tire argument de sa naissance virginale, ni les évangiles dans les discussions qui portent sur l’origine ou l’identité de Jésus» .

Cette idée de préexistence relève d’une mentalité qui nous échappe totalement aujourd’hui. Mais cela correspondait à un axiome philosophique de l’époque disant que «l’être astreint à mourir est pareillement astreint à naître et qu’un être exonéré de l’obligation de finir est également affranchi de celle de commencer» (p. 91).

La préexistence suggère la divinité, et celle-ci posera nombre de questions intellectuelles:

«Dans l’ensemble de ces argumentations, l’affirmation de la divinité du Christ est liée à celle de sa préexistence : il préexiste en tant que Dieu, Fils et Logos de Dieu» (p. 92).

L’idée de divinité de Jésus soulève alors des quantités de problèmes: comment distinguer le Père et le Fils dans une même unité divine? On élaborera la notion de trinité, en adjoignant le Saint Esprit (un seul Dieu en 3 personnes). Comment distinguer et unifier l’homme et le Dieu en Jésus? Il y aura l’énoncé du concile de Chalcédoine en 451: en Jésus, il y a «2 natures (humaine et divine) en une seule personne».

On fait appel, pour exprimer la foi, à des notions philosophiques (nature, personne, termes, d’ailleurs, qui n’avaient pas le sens que nous leur attribuons aujourd’hui). «Les problèmes théologiques ne pourront pas être réglés par le seul moyen des argumentations scripturaires, ils devront être portés au plan des conceptions philosophiques…» (p. 140).

La foi ne doit pas être enfermée dans des formulations dogmatiques:

A force de débats ? et d’excommunications?, on aboutira, de concile en concile, à des énoncés dogmatiques de la foi catholique. Mais ces énoncés se réfèrent au langage philosophique et à la problématique de l’époque où ils sont élaborés. Ils sont donc passibles de reformulations en fonction de l’évolution des connaissances et des questionnements.

C’est la tâche du théologien de travailler à ces reformulations, sans pour autant réduire la foi à des formules, car elle ne consiste pas en des connaissances, mais en la confiance faite à une personne: «La tâche du théologien … est de libérer la foi de tout enfermement dans des formulations» (p. 78). «L’erreur est de réduire la foi à un contenu notionnel et d’oublier qu’elle transcende ce contenu en tant qu’elle est d’abord acte de se fier au Christ, parce que le Christ le premier nous en inspire la confiance» (p. 79).

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