Malgré un marché du travail ultradynamique, certaines entreprises sont confrontées à une pénurie de profils adéquats. Pour beaucoup, cela relève même du casse-tête si l’on ajoute les questionnements post-confinements sur la quête de sens qui préoccupe 92% des actifs selon une enquête Audencia (mars 2022), en particulier les millennials. Aussi, afin de satisfaire leurs besoins, et plus largement ceux de leur secteur d’activité, un nombre croissant d’organisations se tournent vers l’apprentissage «maison», une pratique facilitée par la loi Avenir professionnel du 1er janvier 2019, qui a supprimé l’obligation d’un agrément régional pour créer un CFA (centre de formation d’apprentis).

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Ce mode de formation présente, de surcroît, un coût moindre en comparaison de la professionnalisation. Résultat, «plus de 70 CFA d’entreprise structurés, internes, hors les murs ou hybrides, ont été créés en trois ans. Ils accueillent aujourd’hui entre 6.000 et 7.000 apprentis, un nombre amené à augmenter puisqu’une trentaine de projets sont en cours», se réjouit Yann Bouvier, chargé de mission à la Fipa (Fondation innovations pour les apprentissages), qui réunit 17 groupes internationaux dont Air France, BNP Paribas, EDF, Veolia… s’étant donné pour mission de «développer et tester des innovations touchant aux apprentissages».

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Si de grands groupes comme L’Oréal, TotalEnergies, Accor et Sodexo furent les premiers à se positionner sur le marché, car «ils avaient les moyens de se saisir rapidement des opportunités offertes par la réforme», selon Yann Bouvier, des ETI et des PME leur ont depuis emboîté le pas. «Pour ces entreprises, posséder un CFA est même plus adapté du fait de la gouvernance et de process de décision simplifiés, de la connexion directe avec leurs besoins en compétences, et de leur agilité», poursuit le représentant de la Fipa, également directeur du CFA métiers de l’énergie d’EDF.

Et de citer l’exemple de l’ETI vosgienne Mauffrey, l’un des leaders français du transport routier de marchandises (4.000 salariés), dont «la gigantesque Academy interne bâtie de toutes pièces en 2022» devrait former 1.600 personnes par an à terme. Il s’étonne, mais se félicite également de la création fin 2020 de «The Welcome Factory, un CFA dédié à l’accueil d’entreprise, à la gestion administrative et à l’office management, par Axcess et Lorene Agency, deux PME franciliennes du secteur». Il souligne, enfin, que «le concept séduit aussi de plus en plus de poids lourds du retail qui fonctionnent avec des franchisés, à l’image de Système U et McDonald’s».

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Bien qu’une école interne ait foncièrement vocation «à révéler le potentiel des experts de demain et ainsi à satisfaire à la fois la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) de l’entreprise et les besoins d’un écosystème», selon Marie Clarous, directrice de L’Ecole by Capgemini, un tel projet présente bien d’autres avantages. Le guide de la Fipa «Créer son CFA d’entreprise» (en accès libre sur le site) en liste une douzaine, de la création de contenus pédagogiques maîtrisés, mieux adaptés à l’évolution des métiers et aux réalités de l’entreprise, au développement de la marque employeur. «L’entreprise peut même enregistrer de nouvelles certifications professionnelles au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) afin de former des individus “prêts à l’emploi”», relève Yann Bouvier.

Le CFA de Nexity inauguré en 2020, Les apprentis de l’immobilier, illustre le propos. «Nous proposons une formation 100% connectée à la réalité du marché, car coconstruite par nos experts métiers et des experts pédagogiques, pour devenir développeur foncier et gestionnaire de copropriété. Et puisque ce sont des métiers en tension chez nous, la moitié de la première promotion a déjà reçu des propositions de postes au sein du groupe», détaille sa responsable Sandrine Roy. «Fort de son slogan, “Investir sur les nouvelles générations pour inventer les métiers immobiliers qui feront la ville de demain”, notre CFA s’inscrit pleinement dans la démarche sociale et sociétale du groupe», tient à préciser par ailleurs Guillaume Ravix, DG de La Cité Nexity.

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La relation gagnant-gagnant vantée par les entreprises ne suscite pas pour autant la pleine adhésion escomptée. «Où sont les jeunes?», s’interrogent, et se plaignent, des directeurs de centre. «Nous garantissons une formation en alternance rémunérée, avec un emploi à la clé dans un groupe leader sur ses marchés ou dans un secteur demandeur, et qui prépare à un métier utile pour la société de demain. Or nous manquons de candidats», déplore Guillaume Ravix.

Pour Pascal Picault, président de la Fnadir (Fédération nationale des directeurs de CFA) et directeur de Formaposte IDF, réseau d’organismes de formation en alternance du Groupe La Poste, «la solution repose sur la sélection des candidats: il faut être plus ouvert sur les profils et se donner les moyens d’aller chercher des jeunes plus éloignés de l’emploi. Sans compter que toute entreprise qui élargit sa cible remplit mieux son rôle d’organisation formative responsable. Cela va de pair avec un soutien fort et continu, à la fois politique et financier, de l’Etat à ce formidable vecteur d’insertion sociale et de baisse du chômage chez les jeunes qu’est l’apprentissage».

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En juin 2022, confronté au déficit abyssal de France compétences*, l’Etat a pourtant décidé de réduire de 800 millions d’euros l’enveloppe globale des subventions accordées aux CFA (ils sont près de 3.000 à ce jour) d’ici à avril 2023. Dans le même temps, la Première ministre Elisabeth Borne a réaffirmé l’objectif de «1 million d’apprentis» par an d'ici à la fin du quinquennat (contre plus de 730.000 en 2021, un record déjà). Le pari d’obliger les entreprises à (s’)investir davantage dans leur CFA maison sera-t-il gagnant?

Des écoles ouvertes sur l’extérieur

De nombreux campus, écoles, académies ou universités internes s’appuient sur d’autres dispositifs que l’apprentissage pour former en alternance, voire en continu, leurs propres salariés et des stagiaires venus de l’extérieur. C’est le cas du Hall 32 de Michelin, centre de formation créé en 2019 pour répondre aux besoins de l’industriel et de ses partenaires. C’est vrai aussi de la première école de formation axée sur l’acquisition des compétences nécessaires à l’éolien offshore, ouverte en 2021 par le constructeur Siemens Gamesa. L’objectif : former des demandeurs d’emploi et des salariés en reconversion à des métiers en tension, car encore peu répandus.

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7 cursus avec un job à la clef

L’environnement, avec Nicollin

Au sein du CFA (centre de formations d’apprentis) N Académie créé en 2019, le spécialiste de la gestion globale des déchets forme chaque année jusqu’à 16 élèves avec l’assurance d’un emploi à la clé. «Cette formation certifiante nous permet d’intégrer par la voie de l’apprentissage nos futurs chefs d’équipes ou de secteurs, correspondants QSE (qualité, sécurité et environnement) et chargés d’étude», affirme le groupe.

Diplôme préparé : BTS métiers des services à l’environnement (bac + 2).
Prérequis :
bac S, STL, STI2D ou dans les domaines des services hygiène, sécurité, prévention, services à la personne…
Durée : 24 mois.
Groupenicollin.com

L’immobilier de demain, avec Nexity

Depuis 2021, le CFA Les Apprentis de l’immobilier forme chaque année deux classes d’une vingtaine d’étudiants à des métiers en tension qui permettent de «laisser son empreinte dans la ville de demain», tels que développeur foncier et gestionnaire de copropriété. Pour se faire une idée des perspectives d’embauche: la moitié de la première promotion s’est vu proposer un poste par l’entreprise à l’issue du parcours.

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Métiers préparés : conseiller commercial immobilier (bac + 2), développeur foncier (bac + 3), gestionnaire de copropriété (bac + 3).
Prérequis :
bac et bac + 2.
Durée : 14 à 20 mois.
Nexity.fr

La domotique et l’énergie, avec Schneider Electric

Au sein de l’Ecole Schneider Electric (qui comprend le lycée du même nom), le CFA ouvert en 2020 promet de «former les étudiants aux métiers techniques de la transition énergétique et de l’industrie». Premiers chiffres et résultats: 107 apprentis à la rentrée 2021 et un taux d’insertion professionnelle estimé de 45% au 8 juillet 2022 (et 50% de poursuite d’études).

Diplômes préparés : BTS fluides, énergies, domotique option C domotique et bâtiments communicants (bac + 2), licence professionnelle métiers de l’électricité et de l’énergie (bac + 3)…
Prérequis:
bac technologique et bac + 2…
Durée : 24 mois.
Se.com

L’habitat et l’industrie, avec Saint-Gobain

En 2021, Génération Saint-Gobain, le CFA du géant de la production et de la distribution de matériaux et de services pour l’habitat et l’industrie, a accueilli 125 candidats, 100 dans la filière commerce et marketing, et le reste en maintenance industrielle. Le but avoué: «porter ce nombre à 250 chaque année».

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Métiers préparés : vendeur, chargé de clientèle habitat durable (bac + 2), technicien supérieur en maintenance industrielle (bac + 2), responsable commercial et marketing habitat durable (bac + 3). Prérequis : bac et bac pro, et bac + 2.
Durée : 12 mois ou 24 mois.
Generation-saint-gobain.fr

Les TIC, avec Socotec

Le spécialiste des TIC (testing, inspection et certification) «dans la construction, les infrastructures et l’industrie» (9000 collaborateurs dans le monde) a lancé son CFA fin 2020 avec l’ambition de former des experts du secteur auxquels il promet un CDI une fois diplômés. Il a admis quelque 220 apprentis en 2021.

Métiers préparés : vérificateur d'installation et équipements électriques (CQPM), technicien en diagnostic immobilier (bac + 2).
Prérequis :
sans prérequis, et bac, bac pro ou 3 ans d’expérience.
Durée : 12 ou 24 mois.
Cfasocotec.fr

La data et l’IA, avec La Poste

Le groupe qui abrite déjà «un pôle constitué de plus de 400 experts de la data et de l’IA» a annoncé en juin 2022 la création de L’Ecole de la data et de l’IA afin de pallier la pénurie de candidats sur ses métiers de la tech. En tout, 85 apprentis (dont 25 externes) doivent la rejoindre en septembre, et l’objectif est d’en former 250 chaque année d’ici 2025.

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Métiers préparés : data product owner, data analyst, data engineer, data scientist (bac + 5).
Modalités d’admission :
«une première expérience post-bac» ou reconversion professionnelle.
Durée : 3 à 12 mois.
Laposterecrute.fr

Le luxe, avec LVMH

L’Institut des métiers d’excellence du leader mondial du luxe n’est pas nouveau (il date de 2014), mais il recrute en permanence des apprentis pour les former à l’un des 30 métiers en tension du groupe – sur un total de 280. La promotion 2021-2022 comptait 339 stagiaires entre 16 et 60 ans (!). Et en 2021, «le taux de placement était de 75% dans les filières métiers et de 61% dans les maisons de LVMH et leurs partenaires».

Diplômes préparés: licence pro art et sciences de la formulation en maquillage (bac + 3), master design mode et industries créatives (bac + 5)…
Modalités d’admission:
sans et avec prérequis (selon le diplôme visé).
Durée: 12 mois et plus.
Lvmh.fr

«Nous recrutons des "top performers" performers sans CV»

Le groupe Adecco a créé en 2019 le CFA Recruter autrement. L’objectif est de miser sur les motivations, la capacité à raisonner, à apprendre, à s’adapter des candidats plutôt que sur leur savoir-faire, Explications d’Hélène Fourrier (directrice offres, partenariats et CFA chez Adecco Training).

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Vous mettez en avant l’innovation dans votre CFA. Sur quoi repose-t-elle ?

Hélène Fourrier : Elle est omniprésente. Il n’existait pas de formation diplômante exclusivement dédiée aux métiers du recrutement : nous avons inscrit le titre de chargé de recrutement au répertoire national des certifications professionnelles. De même, nous recrutons nos apprentis sur leur personnalité et leur potentiel, indépendamment du diplôme et de l’expérience, et nous leur donnons les clés pour, à leur tour, recruter sans CV des «top performers», à commencer par les nouveaux prétendants à la formation. Nous les formons aussi au «recrutement durable», qui consiste à savoir orienter un candidat durant toute sa carrière en fonction de ses motivations profondes.

Près de trois ans après l’ouverture de votre CFA, quel bilan dressez-vous ?

Nous avons diplômé 32 apprentis en 2020 et 50 en 2021, aux profils et aux parcours variés, de l’exsalarié dans le luxe au SDF, et près de la moitié nous ont rejoints. Le taux d’insertion professionnelle est de 94%. Après Paris et Lyon, nous avons ouvert des centres à Bordeaux et à Lille, ainsi qu’une classe en distanciel… C’est un succès.

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Forts de ce constat, comment envisagez-vous les perspectives du CFA ?

Avec ce CFA, nous avons pour ambition de développer un pôle de formation d’excellence sur les métiers du recrutement. Nous le déployons également depuis quelques mois en marque blanche pour nos clients tous secteurs confondus, comme le BTP pour préparer au métier de monteur de grues et la finance pour celui de gestionnaire de paie.

* En 2021, France compétences, l'autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l'apprentissage, a affiché un déficit de 3,2 milliards d’euros malgré 2,75 milliards de subvention exceptionnelle versée par l’Etat; en 2022, il pourrait atteindre 5,9 milliards malgré une nouvelle rallonge de 2 milliards.