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«Soigner les sans-abri, c'est grandir en humanité» : une nuit avec les maraudeurs de l'Ordre de Malte à Paris

Raphaëlle conduit le cabinet mobile du docteur Guy Lessieux. Une fois par semaine, l'Ordre de Malte envoie des médecins, infirmiers et pharmaciens aider les SDF qui ont besoin d'un suivi médical.
Raphaëlle conduit le cabinet mobile du docteur Guy Lessieux. Une fois par semaine, l'Ordre de Malte envoie des médecins, infirmiers et pharmaciens aider les SDF qui ont besoin d'un suivi médical. MLM / LE FIGARO

REPORTAGE - Alors que le plan Grand Froid a été déclenché dans plusieurs départements, les associations multiplient les maraudes pour apporter des soins médicaux aux plus démunis.

«Bon, on commence par qui aujourd'hui ?» À l'heure où la plupart des Parisiens quittent hâtivement leur lieu de travail pour échapper à la tombée de la nuit glaciale, l'équipe médicale de l'Ordre de Malte se met en route. À l’extérieur, le thermomètre affiche à peine deux petits degrés. Déclenché le 12 décembre dernier dans plusieurs départements dont l'Île-de-France, le plan Grand Froid permet l'ouverture de nouvelles places d'hébergement d'urgence. Pour autant, faute de lits disponibles, des dizaines de sans-abri restent dehors, en proie aux températures glaciales et aux horreurs de la nuit. Le nombre de maraudes médicales a donc été renforcé, au rythme de deux par semaine.

Bénédicte est infirmière, Guy médecin et Raphaëlle, conductrice secouriste. MLM / LE FIGARO

«On a six patients à voir aujourd'hui», lance le médecin généraliste Guy Lessieux, du haut de ses 80 ans. À ses côtés, la conductrice Raphaëlle fait démarrer le camion médicalisé. Malgré les embouteillages, elle sillonne avec dextérité les avenues parisiennes. «On a une grosse soirée, s'enthousiasme-t-elle, il y a du travail.» Au programme, ce soir : six sans-abri malades ou blessés aux quatre coins de Paris, nécessitant des soins. «On va voir Renata, elle nous attend dans un hôtel social dans le 17ème arrondissement.» Puis le wagon se faufilera auprès de Jacques* à Châtelet-les-Halles, Wojtek* dans le 16e arrondissement, Gloria* dans le 9e, Estelle* à la Madeleine...

À l'arrière, sont installées Bénédicte et Marie-Sophie : l'une est infirmière, l'autre est pharmacienne. Tous sont bénévoles pour l'Ordre de Malte et participent à la maraude médicale. Dans leur camion, en plus des traditionnels cafés, soupes, sacs de couchage de rechange et chaussettes propres, se trouve un véritable cabinet médical ambulant. «C'est comme s'ils allaient chez leur médecin, ajoute Guy. Sauf que là, c'est nous qui venons à eux.» La plupart ont été signalés par le Samu social ou d'autres maraudes. Certains ont aussi un traitement qu'il faut suivre. «On les note alors à revoir dans une semaine, un mois, selon les pathologies.»

Le camion médicalisé permet de soigner une centaine de SDF par an. MLM / LE FIGARO

Grosses blessures et besoin de réconfort

«Et nous voilà arrivés !» Le camion stationne sur le bas-côté de la route, à deux pas du Trocadéro, les feux de détresse allumés. Le froid saisit Raphaëlle en descendant du véhicule. «Il doit être par-là, suppose-t-elle, en se frottant les mains. On passe beaucoup de temps à les chercher, surtout en hiver.» Dans un recoin, non loin d'une plaque de métro, soufflant la chaleur du métro, deux sacs de couchage sont installés. Mais dessous, rien. Boris* n'est pas là. «Mince, il a dû partir trouver à manger ou se réchauffer quelque part.»

Guy est médecin à l'Ordre de Malte depuis 20 ans. MLM / LE FIGARO

Au moment où l'équipe est sur le point de repartir, un jeune homme d'une vingtaine d'années les alpague. «Eh! Ma maman a mal au pied.» Le médecin s'approche alors de la femme âgée de 67 ans, enroulée dans plusieurs couches de tissu dont certains en lambeaux. Guy s'agenouille sur un carton humide. «Ça va ?» Elle montre sa cheville, son fils explique dans un français approximatif qu'elle souffre d'une articulation légèrement enflée. Le médecin lui propose de monter dans le camion, elle refuse. «Ça arrive parfois, on s'adapte toujours à leur rythme». La femme se rassoit, Guy l'examine à même le sol : une crème, un bandage et surtout un café. «Pas besoin de repasser, conclut Guy, ça va passer.»

Quand les patients refusent de monter dans le camion, Guy les examine à même le sol. MLM / LE FIGARO

L'équipe repart, direction le 17e. «Oh mais on les connaît eux, interrompt Guy. Viens on s'arrête, juste voir si ça cicatrise bien !» Le camion se met de nouveau sur le bas-côté et les soignants s'approchent de Wojtek, trentenaire enveloppé dans un manteau épais et un duvet bleu ciel. «Ça va, vous n'avez pas trop froid ?», commence Bénédicte. Wojtek* émerge d'un léger sommeil et reconnaît immédiatement les «Maltais». D'une main, il récupère sa paire de béquilles et s'avance titubant vers le cabinet médical ambulant.

Les sans-abri sont soignés dans le cabinet médical ambulant de l'Ordre de Malte. MLM / LE FIGARO

Une fois installé sur divan d'examen, Wojtek montre son pied rougi. «14 coups de couteau», bafouille-t-il avec un accent de l'Est prononcé. Quelques semaines plus tôt, l'homme originaire de Pologne a été agressé par un autre SDF armé d'une longue arme blanche. Il a rapidement été conduit aux urgences pour recoudre les plaies. Depuis, Guy veille sur leur cicatrisation.

On soigne beaucoup de “traumato” après des bagarres, des infections multiples, des douleurs et parfois des pathologies chroniques comme l'asthme, le diabète et les addictions.

Docteur Guy Lessieux, médecin pour l'Ordre de Malte depuis 20 ans.

Un des coups de couteau ayant touché un nerf, Wojtek a perdu l'utilité de son pied gauche. «Comment elle vous va l'attelle ?», demande Bénédicte. D'un geste maladroit, il montre une blessure due au frottement du plastique au niveau du tibia. «Aïe, aïe, aïe, on vous refait le bandage alors ?» L'infirmière découpe les bandelettes blanches au ciseau pour en poser de nouvelles sèches et propres.

La plupart des soins prodigués par l'équipe médicale sont des blessures après des bagarres. MLM / LE FIGARO

Nouvel arrêt : Irène, à la Madeleine. Cette dernière souffre d'asthme. «C'est très courant, réagit le docteur Guy. On soigne aussi beaucoup de “traumato” après des bagarres, comme pour Wojtek, des infections multiples, des douleurs et parfois des pathologies chroniques comme l'asthme, le diabète et les addictions.» Le médecin peut leur administrer gratuitement des médicaments qui lui sont fournis par la Pharmacie humanitaire internationale (PHI).

Guy prépare les médicaments nécessaires avant de prendre la route. MLM / LE FIGARO

À l’abri à l'entrée du magasin Décathlon, Estelle s'est réfugiée du froid avec trois hommes et une autre femme. «On rigole bien ici», lance-t-elle, en montrant ses compagnons d'infortune blottis sous des couettes jaunies. Raphaëlle s'agenouille et propose «qui veut un café ? Ou une soupe peut-être ?» Pour la secouriste, qui est tombée amoureuse des maraudes grâce à son frère, le service de boisson chaude est tout aussi important que les médicaments ou les pansements, «surtout à cette saison».

Les soins s'accompagnent toujours d'un café ou d'une soupe, nécessaires pour affronter le froid glacial de la nuit. MLM / LE FIGARO

Une fois Irène et ses amis soignés, la troupe médicale repart pour le 6e arrondissement. Ici les attendent un homme victime d'une polynévrite à cause de l'alcool, un autre brûlé à la main, un jeune blessé au poignet, un plus âgé qui a besoin d'un kit de rasage... «On a une liste de patients à suivre mais on soigne toutes les personnes qui en ont besoin et qui se présentent à nous», ajoute le docteur Guy, qui ne compte pas ses heures. Alors que les douze coups de minuit se rapprochent, l'équipe rentre au siège de l'Ordre de Malte. Bilan d'une soirée animée : quatre heures à sillonner Paris, une dizaine de SDF guéris, pansés, réconfortés et des bénévoles fatigués mais ravis. «Soigner des sans-abri, c'est grandir en humanité, souffle Bénédicte. C'est apprendre à vivre dans une réalité difficile en prenant soin des plus fragiles.»

*Ces prénoms ont été modifiés

«Soigner les sans-abri, c'est grandir en humanité» : une nuit avec les maraudeurs de l'Ordre de Malte à Paris

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23 commentaires
  • Dany L

    le

    A LA MODERATION:
    Toutes mes participations sont supprimées aujourd'hui, alors que j'exprime mes opinions sans insulte et dans un français plus que correct, et alors que je paie l'abonnement réglementaire. Il y a donc un problème! Il va falloir l'éclaircir.
    .
    .M'empêcher de dire mon RESPECT pour l'Ordre de Malte, pour ses vrais bénévoles, est quand même un peu fort!

  • Arcusgi

    le

    Qu'est donc devenu l'ordre souverain de Malte, digne des héros de Lavalette, qui ont su chasser les ottomans de la Méditerranée lors du siège de Malte en 1565 ! Il devrait revenir à leur mission première, lutter contre les ottomans.

  • Scharapow Vladimir

    le

    Au lieu de vouloir soigner tous les bobos de la Terre , commençons d ' abord par les nôtres !! Les autres pays sont RESPONSABLES de leurs concitoyens ....

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