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Témoignage

« Consultante dans la finance, j'ai tout plaqué pour devenir sexologue »

TEMOIGNAGE// Margaux Terrou, 30 ans, a renoncé, par amour, à une carrière de gynécologue. Après quelques années dans le conseil en recrutement, elle est (presque) revenue à son métier rêvé, en ouvrant son propre cabinet de sexologie en banlieue parisienne.

« En septembre 2022, ça y est, le grand jour arrive : enfin diplômée, j'ouvre mon propre cabinet de sexologie. Je reçois en consultation le mardi et le mercredi dans deux centres de santé, à Boulogne-Billancourt et Colombes, en banlieue parisienne. »
« En septembre 2022, ça y est, le grand jour arrive : enfin diplômée, j'ouvre mon propre cabinet de sexologie. Je reçois en consultation le mardi et le mercredi dans deux centres de santé, à Boulogne-Billancourt et Colombes, en banlieue parisienne. » (Thomas Decamps/ Welcome to the Jungle)

Par Samuel Chalom

Publié le 29 nov. 2022 à 11:50Mis à jour le 27 févr. 2023 à 17:19

« Je passe mon enfance à Saint-Ouen, en banlieue parisienne, où je suis scolarisée jusqu'à l'école primaire. À l'époque, au début des années 2000, lorsque tu annonces que tu habites à Saint-Ouen, on te regarde avec de grands yeux, parce que la ville a alors une image de repère de dealers, alors qu'aujourd'hui, c'est devenu 'hype'. À partir du collège, je pars étudier à Paris, où j'intègre un établissement privé bilingue - français-anglais -, dans lequel je reste jusqu'au lycée.

En 2010, j'ai 18 ans, le bac en poche, et se pose l'inévitable question de mon orientation. J'hésite entre des études de médecine pour devenir gynécologue ou une école de commerce. Je suis alors dans une relation amoureuse toxique : mon copain me dit que si je pars en fac de médecine, il me quitte. Pourquoi ? Parce que, selon lui, si je deviens étudiante en médecine, nous ne nous verrons plus, ce sera trop prenant pour moi, trop compliqué pour nous. Amoureuse que je suis, ce à quoi tu rajoutes une petite couche de syndrome de l'imposteur - j'ai été en filière économique et sociale au lycée, je considère donc que je n'ai pas les bases scientifiques nécessaires pour intégrer médecine -, je décide finalement de me diriger vers une école de commerce. J'ai la chance d'avoir eu des parents qui m'ont toujours poussé et soutenu dans mes études.

J'intègre l'ESCE à Paris. Même si j'ai un peu fait ce choix par défaut, j'y passe cinq super années. L'école est très tournée vers l'international : en deuxième année, je pars en Irlande, puis à Londres l'année suivante - dans le cadre d'un stage -, et au Pérou en quatrième année. Je m'éclate ! Je rencontre plein de gens, découvre de nouvelles cultures. En plus, le fait d'avoir été dans une école bilingue dès le collège m'aide beaucoup.

Mais il y a quand même un problème (ce ne serait pas drôle sinon) : je suis dans le flou total lorsqu'il s'agit de me projeter dans un métier après l'école de commerce. Au début, je me dis que je pourrais travailler dans le marketing du luxe, mais je fais des stages dans le secteur… et je trouve ça vide de sens. Puis, après avoir eu des cours sur le coaching, je m'intéresse au métier de coach. Je fais mon stage de fin d'études dans un cabinet d'outplacement, l'équivalent d'un Pôle emploi pour les cadres pour faire simple. J'adore ce stage, j'y suis hyper épanouie, tant et si bien que je suis repérée par une chasseuse de têtes, qui me propose un job… de chasseuse de têtes en finance dans un cabinet de recrutement à Londres. Aucune hésitation, j'accepte sur-le-champ !

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Je commence ce premier job de ma carrière en septembre 2015. Même si je suis très bien payée, je n'ai jamais fait quelque chose d'aussi difficile de ma vie : d'un coup, j'ai des horaires de dingue et beaucoup de travail, alors que je n'ai jamais vraiment connu ça avant. C'est simple, tout dans ma boîte ressemble au film 'Le loup de Wall Street'. Sur d'énormes écrans lumineux, sont affichés en vert les résultats des salariés qui performent le plus, et en rouge ceux qui sont à la traîne. Dès que des 'deals' sont signés, on met de la musique à fond et on tape dans les mains. Parfois, au retour du déjeuner, les managers nous enlèvent nos chaises de bureaux pour que l'on passe deux heures à appeler des clients debout, une manière selon eux de nous rendre plus productifs.

Néanmoins, je reste trois ans dans ce cabinet de conseil. Pendant un an, une manageuse que j'apprécie me prend sous son aile. Mais elle s'en va ensuite, et je me retrouve à devoir gérer d'un coup tous ses comptes clients. Je n'ai plus de managers, la pression ne cesse d'augmenter, c'est la descente aux enfers. À cela, s'ajoute le fait qu'un jour, par hasard, je découvre que je suis moins bien payée que mes collaborateurs masculins qui ont les mêmes compétences et missions que moi. Si je patiente autant avant de me décider à partir, c'est que le Brexit passe par là à l'été 2016. Les entreprises britanniques prennent peur et sont beaucoup plus frileuses dans leurs recrutements.

En 2018, je me décide (enfin) à quitter mon job, mais aussi Londres. J'ai l'impression d'être à la fin d'un cycle. Je rentre à Paris, où j'ai l'idée de créer, avec ma soeur, un cabinet de conseil en égalité hommes-femmes. Mon but : prévenir notamment les écarts de salaire que j'ai pu vivre à Londres. En février 2019, nous lançons notre cabinet, 'HER'OES and associates'.

Un micro-événement va littéralement bousculer le cours de ma vie quelques mois plus tard : en avril 2020, en plein confinement, je retombe par hasard sur un post Facebook de 2010 dans lequel j'expliquais que j'hésitais entre une fac de médecine et une école de commerce. Tout ça me replonge dans mes choix passés : pourquoi je n'irais finalement pas au bout de mon envie de devenir gynéco, réfrénée à l'époque par mon petit ami ? Comme je n'ai pas l'argent pour financer plus de dix ans d'études, je me tourne finalement vers la sexologie à la rentrée 2020. Pourquoi ? Entre autres en raison d'une discussion avec mon gynécologue : celui-ci m'explique qu'il a peu de temps pour discuter avec ses patientes, alors que moi, je veux absolument de l'échange. Et c'est ce que propose la sexologie.

« Pour me faire connaître et constituer ma clientèle, j'utilise… LinkedIn ! »

La sexologie est divisée en deux parties : les médecins - qui se sont spécialisés en sexologie - et les non-médecins. Pour ces derniers, dont je fais partie, il existe un certain nombre de formations, mais qui ne sont pas toutes reconnues. Pour ma part, je décide de préparer, pendant un an, un diplôme inter-universitaire (DIU) en santé sexuelle et droits humains à l'université Paris-Cité. En parallèle, je suis une formation de deux ans à l'Institut de Sexologie, une école privée située à Vendôme (Loir-et-Cher) et fondée par Jacques Waynberg, un des quatre pères fondateurs de la sexologie en France.

Les deux formations sont une immense bouffée d'air frais ! Je me sens comme un poisson dans l'eau, j'adore le fait de redevenir étudiante. Les cours alternent entre théorie et études de cas. Comme nous n'avons pas de stages prévus dans ces cursus, je décide, à partir de septembre 2021, d'assister régulièrement aux consultations d'un spécialiste en thérapie de couple. Ce dernier me propose de donner mon regard de sexologue aux couples qu'il reçoit en séance. Cela me permet également de chasser mon syndrome de l'imposteur (encore lui !) en légitimant ma parole auprès de ses patients.

En septembre 2022, ça y est, le grand jour arrive : enfin diplômée, j'ouvre mon propre cabinet de sexologie. Je reçois en consultation le mardi et le mercredi dans deux centres de santé, à Boulogne-Billancourt et Colombes, en banlieue parisienne. Ceux qui viennent me voir sont confrontés à une baisse désir ou ont besoin de se réassurer. À partir du mois de décembre 2022, je proposerai également des consultations au sein de la Maison de l'Endométriose, également à Boulogne-Billancourt. Pour me faire connaître et constituer ma clientèle, j'utilise… LinkedIn ! Cinq mois avant l'ouverture de mon cabinet, je me suis astreinte à un vrai plan de communication, en prévoyant des posts réguliers sur le réseau social, de manière à être identifiée comme une référence sur les questions de sexualité et du couple. En parallèle, j'ai fait le tour de toutes les pharmacies de Boulogne-Billancourt et de Colombes pour me présenter.

En consultation, mes tarifs sont de 70 euros pour une personne seule ou 100 euros pour un couple, sachant que la séance dure une heure. Comme je ne suis pas médecin, cela ne peut pas être remboursé par la Sécu. La bonne surprise pour moi, c'est qu'au bout de seulement trois mois, j'arrive déjà à en vivre. En cumulant avec d'autres activités, comme l'écriture d'articles pour différents médias spécialisés et l'animation de conférences autour de l'égalité femmes-hommes, je vis plutôt confortablement.

Même si je me suis sentie un peu désarçonnée pendant les premières consultations que j'ai données - ayant l'impression de ne pas être prête pour l'exercice -, le fait d'être membre du Syndicat National des Sexologues Clinicien (SNSC), où j'ai pu discuter et avoir le retour d'expérience de mes pairs, m'a beaucoup aidée. Je suis également une psychothérapie depuis maintenant plusieurs années, ce qui m'est très utile dans ma nouvelle activité professionnelle : cela me permet d'éviter le phénomène de miroir, où je projetterais sur les personnes que je reçois mes propres désirs, angoisses et aspirations.

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À tout juste 30 ans, je me sens enfin alignée avec qui je suis ! La seule chose qui peut être parfois compliquée, ce sont les réactions de personnes que je rencontre en soirée, qui ne me connaissent pas et se permettent parfois des remarques déplacées du fait de mon métier. Ça a été beaucoup plus simple avec mes proches, même si ma grand-mère préfère dire à ses copines que je fais des 'thérapies', sans parler de sexologie (rires).

L'avenir ? Tout est déjà prévu. Je le vois avec toujours des consultations, de l'écriture aussi, et surtout un rêve : animer ma propre émission de radio, le soir, consacrée à la sexualité. J'ai déjà son nom… mais je préfère le garder secret (sourire). »

Propos recueillis par Samuel Chalom

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