Fil d'info
America is back – L’édito de Patrice Chabanet

Joe Biden veut aller vite. Trop de temps perdu dans les guérillas de politique intérieure. Des semaines et des semaines à faire attendre les Ukrainien...

21:51
Vibrer au féminin – L’édito de Christophe Bonnefoy

Il se trouvera toujours des âmes chagrines – ou carrément machistes – pour venir sourire du sport féminin. Les rugbywomen… ont-elles...

21 Avr 2024 à 21:51
Commentaires (0)
Vous devez être connecté à votre compte JHM pour pouvoir commenter cet article.

Michèle Strappazon-Hernando, la terre sublimée

Aucune pièce n’est identique.

Travailler la terre, la modeler sans la brutaliser, la caresser pour la polir, avec une infinie patience élaborer une œuvre en un tour de main, de potier en l’occurrence, tel est le crédo de Michèle Strappazon-Hernando, céramiste. Chacune de ses créations est une ode à la nature, qui transcende l’imaginaire et laisse entrevoir une infinité d’interprétations. Rencontre avec l’artiste céramiste ancervilloise.

L’Hebdo : Comment êtes-vous venue à la céramique ?

Michèle Strappazon-Hernando : C’est une passion qui me brûle depuis 35 ans mais les circonstances m’ont empêchée de l’assouvir. J’étais comptable, donc bien éloignée de la céramique. J’ai consacré du temps à l’éducation de mes enfants avant de devenir aide-soignante. J’étais employée à l’unité Alzheimer (pathologie pour laquelle j’avais suivi une formation) au SSIAD d’Ancerville (Service de soins infirmiers à domicile). Aussi, lorsque l’accueil de jour a été créé, j’ai contribué à l’ouverture d’un atelier poterie, convaincue que le travail de la terre pouvait apporter beaucoup aux malades. Puis j’ai fait un burn-out à 49 ans et j’ai voulu donner un autre sens à ma vie. J’ai demandé et obtenu un CIF et, comme une évidence, j’ai cherché une formation de céramiste. En 2013, le CPIFAC (Centre professionnel international de formation aux arts céramiques) de Velaine-en-Haye (Meurthe-et-Moselle) m’a accueillie pour un an et m’a délivré un diplôme qualifiant, celui de céramiste plasticienne.

Les nuances sont obtenues par enfumage à froid.

L’Hebdo : En un an, qu’avez-vous appris ?

M. S.-H. : Beaucoup de choses, j’étais avide d’apprendre (rire) ! J’ai tout d’abord étudié les techniques de poterie, le tour, l’estampage avec un moule qui donne sa première forme à la pièce. J’ai découvert toutes les techniques de cuisson comme le four électrique (oxydation), le raku, les fours papiers, le four à gaz (réduction) et le four anagama, à flamme directe. Ancien four utilisé par les potiers, dans lequel on peut entrer debout, il est alimenté en bois pendant une semaine pour monter jusqu’à 1 300°C (au-delà la terre fond). Il fonctionne jour et nuit, des ouvertures permettant d’insérer les bûches.

L’enseignement ne s’arrêtant pas à la céramique, j’ai appris la forge, la soudure. J’ai présenté un mémoire en fin de formation car le CPIFAC pousse l’apprenant à aller jusqu’au bout de ses choix artistiques et définir ce qu’il veut exprimer. C’était difficile à cerner au bout d’un an.

L’Hebdo : Quel mode de cuisson utilisez-vous ?

M. S.-H. : J’utilise un four électrique (oxydation).

L’Hebdo : Avez-vous rencontré au CPIFAC des artistes reconnus ?

M. S.-H. :J’ai découvert les émaux avec Xavier Duroselle, grand céramiste français. Il travaille beaucoup la porcelaine, en particulier le céladon, un bleu tirant vers le vert pâle.

Michèle donne libre cours à son imagination.

L’Hebdo : Pour la petite histoire, en Turquie, le céladon était particulièrement apprécié du sultan car il était réputé changer de couleur si la nourriture ou la boisson qu’il contenait était empoisonnée !

M. S.-H. : Pour l’avoir produit, je connais la difficulté à atteindre ce bleu/vert si particulier qui s’obtient en atmosphère réductrice, dans un four gaz à 1 280°C, privé d’oxygène, les flammes léchant les pièces dans le four.

L’émaillage, c’est de la chimie, pratiquée avec Xavier Duroselle. C’est très passionnant et difficile à maîtriser. En oxydation, on peut avoir de belles couleurs mais les plus jolies sont celles obtenues dans un four gaz. Je fais mes propres couleurs d’émaux et mes engobes que j’utilise sur mes pièces. L’engobe est un grès dilué dans l’eau ayant la consistance d’une pâte à crêpes, on y ajoute des oxydes colorants. Il se pose sur les pièces céramiques crues ou biscuitées (cuites une première fois à 980°C). Cela donne des couleurs pastel, que j’apprécie beaucoup.

Si on recherche des couleurs vives, il faut ajouter du verre broyé, appelé fritte, pour une deuxième cuisson émail à 1250°/1280°. Trois à quatre semaines de séchage à l’air libre sont nécessaires avant la première cuisson car il faut que l’argile ait exprimé toute l’eau. Jusqu’à 600° il y a encore de l’humidité, après c’est le point d’eutexie, toutes les molécules de la terre sont stables et l’humidité quasiment nulle. Il y a alors moins de risque de casse et la montée en température peut se faire plus rapidement. A la cuisson, les pores de la terre se resserrent mais il peut arriver que la pièce explose : tout bouge tellement dans le four qu’il suffit parfois d’une bulle d’air ou d’une impureté. C’est la raison pour laquelle je travaille beaucoup mes pièces, pour expulser un maximum d’air.

J’ai été aussi formée par le Belge Jacques Dessauvage, dit Tjok. C’est un spécialiste de la sigillée, méthode utilisée par les Romains pour vitrifier une pièce. On prend de l’argile du jardin, on la fait décanter dans du silicate de soude et on ne récupère que les parties fines de la terre. On les pose sur les pièces crues ou biscuitées en une bonne vingtaine de couches. C’est un travail de longue haleine car il faut polir entre chaque couche ! Ensuite, on cuit la pièce en four gaz, raku, ou en gazette (récipient en terre réfractaire), le but étant de créer un choc thermique en sortant la pièce incandescente à l’air libre, ce qui stoppe la cuisson. Cela provoque des petites fissures et toutes les veines de la sigillée ressortent. Les couleurs peuvent être différentes selon la terre d’origine, de l’orange, du bleu, noir…

L’Hebdo : Comment obtenez-vous les nuances noires ou mordorées ?

M. S.-H. : Par l’enfumage à froid. Avant de commencer une pièce, il faut déterminer son aspect final : soit on la laisse neutre, soit on l’émaille, soit on l’enfume. L’enfumage est une finition à cru sur une pièce que l’on polit. Pour ce faire, on utilise le dos d’une cuillère ou d’un couteau tout fin, une pierre d’agate ou encore un galet. Très important, cette action se réalise quand la terre commence à sécher, qu’elle a la consistance du cuir et pas au-delà. On polit la terre jusqu’à ce qu’elle brille et, plus on la polit, plus elle brille. Il vaut mieux éviter de le faire avec les doigts car ils laissent des marques qui vont ressortir à la cuisson. La température du four ne doit pas dépasser 980°, voire 1 000° sinon le travail de polissage disparaît.

On peut enfumer une pièce estampée, c’est-à-dire fabriquée à partir d’un moule en plâtre composé de deux demi-sphères collées à la barbotine (mélange terre/eau). Après avoir élaboré la forme, le polissage s’effectue avec un outil en acier pour avoir des marques grises à l’enfumage, le dos d’une cuillère des marques noires et une pierre d’agate des marques roses. Les impressions sont différentes selon le procédé utilisé.

Avant l’enfumage, on peut asperger la pièce d’eau salée car le sel se transforme en émail à haute température (technique employée par les anciens potiers) ou saupoudrer sa surface d’oxydes de fer noirs ou rouges. Pour obtenir des impressions supplémentaires, il suffit de poser, sur la pièce crue, de la paille, du crin de cheval, des feuilles de vignes qui, de toute façon, vont brûler. Puis on l’entoure de journaux, de manière aléatoire (plus de journaux = moins de noir), on la dépose dans un bac avec un fond de paille, de papier, de bois, de cageot, indifféremment, on recouvre, on met le feu, on attend qu’il y ait de grandes flammes puis on étouffe le feu. On laisse “infuser”, ça va fumer, se consumer tout doucement et pénétrer dans l’argile. Il faut huit heures d’enfumage “à froid” car la pièce est froide, contrairement au raku où la pièce est enfumée immédiatement après la cuisson, lorsqu’elle est incandescente.

Il est impératif de ne pas exposer au soleil ou à la lune des pièces enfumées à froid car les nuances et les impressions, non incrustées, disparaissent. Si le résultat n’est pas probant, la pièce peut à nouveau être enfumée, tout comme une qui a déjà “vécu”.

L’Hebdo : Quel est votre style de production ?

M. S.-H. : Quand j’ai ouvert mon atelier en 2014, j’ai d’abord réalisé des petites pièces mais je reviens toujours à la même forme, inconsciemment, celle d’un arbre. Enfin, ça commence comme un arbre, avec un tronc, mais je dévie rapidement, je ne veux pas créer un arbre tel qu’on le voit dans la nature, c’est trop commun !

L’Hebdo : L’une des pièces que vous présentez pourrait être vue comme un champignon, de ceux qui colonisent les troncs d’arbres et qui se développent avec exubérance. On peut imaginer des flammes s’élevant vers le ciel pour cette autre…

M. S.-H. : C’est justement ce que je recherche, que les gens me disent ce qu’ils ressentent en regardant l’objet. J’aime imaginer, quand je travaille la terre, qu’on peut entrer dans la pièce et se dire “tiens, là, c’est une branche, là c’est un labyrinthe.” Pour moi, chaque objet est unique, je ne sais pas faire deux fois la même chose.

L’Hebdo : Lorsqu’on vous demande quelle est votre profession, que répondez-vous, potière ou céramiste ?

M. S.-H. : J’ai fait partie d’un collectif d’artistes, mais je me considère surtout comme une céramiste, un sculpteur (j’espère ne pas être présomptueuse !) et je voudrais redonner une image positive de la terre, celle qu’on façonne.

Souvent, les gens confondent la céramique et la poterie. Pour eux, la poterie, c’est un objet qu’on achète en grande surface, un vase, une assiette, alors que la poterie est un domaine tellement vaste qu’on peut y mettre beaucoup de choses. Il faut savoir que réaliser une assiette en poterie est très compliqué : on lui donne sa forme au tour, on mouille la terre qui travaille, même si on ne la touche plus. L’assiette ne va pas rester plate, elle va se déformer. Quand on la fait sécher, elle continue de bouger, même dans le four jusqu’à devenir molle à 1 000° puis elle reprend sa forme initiale en refroidissant. Je préfère laisser ça aux industriels !

L’Hebdo : Donc, si on veut retrouver la pièce d’origine après cuisson, il ne faudrait pas y toucher entre le modelage et sa sortie du four ?

M. S.-H. : Exactement. Toutes les manipulations qu’on fait subir au grès ressortent à la cuisson. Par exemple, quand on casse une pièce travaillée crue et qu’on y ajoute de la barbotine (pâte d’argile délayée dans de l’eau), ça se voit. Si on recolle quelque chose, l’ensemble ne sera pas homogène, il y aura une cicatrice.

L’Hebdo : Est-ce que vous partez d’un modèle ?

M. S.-H. : Mon modèle, c’est la nature ! Quand la terre est fraîche, je peux lui donner la forme dont j’ai envie, ça dépend de mon inspiration. Je pars d’un bloc plein puis j’ajoute de la terre par petites plaques, à la main. Ensuite, je fais des trous avec une aiguille de potier. Je peux adjoindre des petits colombins, plus ou moins fins et je travaille ma terre avec différents outils, de diverses grosseurs, selon ce que je veux faire ressortir. J’aime fabriquer des pièces ultrafines car je trouve que plus c’est fin, plus c’est joli. J’utilise une mirette, un anneau ouvert au bout d’une tige, pour retirer le surplus. J’en ai de toutes tailles qui vont créer des trous, des veines. Un trou non prévu au départ peut se former, si cela me convient je le laisse, sinon je remets de l’argile. Le travail se construit au fur et à mesure. C’est pour ça que je me définis comme sculpteur.

Ce que je ne parviens pas à réaliser, et ce n’est pas manque d’essayer (rire), c’est reproduire la santoline, cette grosse fleur jaune du jardin composée d’une multitude de pompons.

L’Hebdo : la nature ne se laisse pas toujours copier ! Vous n’avez pas choisi la simplicité !

M. S.-H. : Je trouve la nature tellement belle et riche ! Quand je regarde mon jardin, mes arbres, je suis fascinée par tout ce qui meurt et renaît, c’est une grande source d’inspiration.

L’Hebdo : Combien de temps faut-il pour créer une grosse pièce ?

M. S.-H. : Il faut compter  trois à quatre jours pour former une grosse pièce et une quinzaine de jours pour qu’elle soit complètement terminée. Je la dégrossis mais il faut attendre une certaine consistance pour faire les trous et ajouter les petits colombins.

L’Hebdo : Si la pièce terminée se casse, est-ce que vous pouvez la reprendre ?

M. S.-H. : Oui, si elle est crue, je la répare ou je la remets dans l’eau et tout peut être recyclé. J’en ai cassé beaucoup ! La terre doit être au bon stade, la tige qui maintient la pièce ne doit pas être retirée ni trop tôt ni top tard avant cuisson. Il ne faut pas être trop pressé ! J’ai appris à être patiente car, de toute façon, si je vais trop vite, tout s’écroule et ça retourne dans les seaux !

L’Hebdo : A combien pouvez-vous estimer le prix d’une grosse pièce ?

M. S.-H. : C’est la grande question ! Je ne sais pas, j’ai du mal à estimer même si j’ai appris à calculer le poids de la terre, le coût de l’énergie, le temps passé. Je mets tout mon cœur dans la réalisation d’une pièce, elle emporte avec elle une partie de moi, d’ailleurs j’ai du mal à me séparer de mes productions ! Si quelqu’un voulait acquérir une pièce pour me faire plaisir, sans que cela soit un coup de cœur, je préférerais dire laissez-la !

L’Hebdo : Etes-vous sensible à l’écologie ?

M. S.-H. : Bien sûr ! Si je devais définir mes pièces, je dirais “brutes et natures”, ce qui leur confère la symbolique “sauvons la planète”. Je suis admirative du vivant, la nature était là bien avant nous, elle a résisté au bigbang et sera toujours là. Quant à l’Homme c’est moins sûr ! Dans tous les cas, j’espère que les consciences vont se réveiller pour l’avenir des générations futures. Sauvons la flore et la faune, cette dernière est aussi un sujet sensible sur lequel je souhaite travailler.

Les cuissons émettent beaucoup de CO2 et d’émanations toxiques. Je fais de l’enfumage à petite échelle, mais je vais le pratiquer avec parcimonie car lui aussi émet du CO2. J’utilise beaucoup les engobes en mono-cuisson pour une économie d’énergie. Par les temps qui courent, ce n’est pas négligeable !

L’Hebdo : Que vous apporte finalement cette passion ?

M. S.-H. : Outre de donner libre cours à mon imagination, travailler la terre me fait un bien fou ! Quand je suis en colère ou stressée, je prends un pain de terre, j’y plonge les mains, je le façonne et ça me calme. Cette faculté d’apaisement s’applique aussi à un public en situation de handicap. Ainsi, j’interviens à l’IME de Puellemontier avec le foyer de vie Adasms pour des ateliers poterie de deux heures avec des personnes trisomiques ou autistes. Le courant passe très bien avec elles car, désormais, elles me connaissent. Elles élaborent des petits objets de décoration en céramique pour Noël. En 2019, on a même réalisé une œuvre collective, à plusieurs mains, un grand arbre appelé Santavana (prénom hindou signifiant espérance). Il a été exposé durant un an à Montier-en-Der et il va retourner au jardin des senteurs à Ceffonds.

L’Hebdo : Comment envisagez-vous l’avenir ?

M. S.-H. : J’aimerais pouvoir exposer plus pour faire découvrir mon travail et je compte ouvrir un atelier d’initiation à la céramique (découverte du tour, modelage, etc…) en janvier 2023. Je ne dispose que d’un petit espace, les cours seront donc à réserver par téléphone ou par mail, avec un maximum de deux à trois personnes. On peut d’ores et déjà me contacter au 06.13.88.17.96 ou par courriel à l’adresse michele.str55@sfr.fr

De notre correspondante Catherine Millot

Sur le même sujet...

Moëslains
Un éclairage intéressant sur les vitraux du XIX siècle
Culture

Une trentaine de personnes ont assisté jeudi 18 avril en soirée, à la salle des fêtes, à la conférence intitulée “Un art retrouvé : le vitrail du XIXe siècle en(...)

Chalancey
Atelier des Ondines : une expo, sept artistes
Culture

Éric Prodhon ouvre les portes de l’Atelier des Ondines, au 33, Grande-Rue, à partir du samedi 27 avril, à 14 h, et jusqu’au mois d’octobre. Le vernissage aura lieu ce(...)

Laferté-sur-Amance
Les festivités continuent aux musées
Culture

La réouverture au public du Musée archéologique et du Musée de la vie d’autrefois a marqué le début des animations estivales organisées dans le village. Les musées sont ouverts les(...)