Pour les fêtes, peut-être achèterez-vous un bijou ancien. Si, après l’avoir fait expertiser, vous apprenez que ses pierres n’ont pas la pureté annoncée, vous pourrez obtenir l’annulation de la vente, pour « erreur sur la substance », comme le rappelle l’affaire suivante.
En 2014, Mme X, qui a besoin de liquidités, demande à la société de vente aux enchères Christophe Joron-Derem de vendre l’un de ses bijoux. Elle explique qu’il « a été monté à la fin du XIXe siècle pour la reine de Siam [ancien nom de la Thaïlande] qui, plus tard, l’a revendu à John D. Rockefeller ». Mme X l’aurait acquis de la fille de celui-ci, Muriel Rockefeller Hubbard.
La société de vente aux enchères s’assure les services de deux experts de la cour d’appel de Paris, MM. Y et Z, pour présenter le bijou dans son catalogue. Ces diplômés en gemmologie le décrivent comme suit : « Pendentif en or jaune (…), serti d’un important cabochon ovale de chrysobéryl œil de chat… ». Le 27 juin 2014, une société belge, Gros Diffusion, se porte adjudicataire, pour la somme de 39 000 euros. Sans attendre son paiement, la société Joron-Derem consent à Mme X une avance de 14 000 euros.
6 % du prix d’adjudication
Las, après avoir fait expertiser le bijou, par un laboratoire suisse, la société belge refuse de le payer : la pierre ne serait pas un chrysobéryl… mais un quartz, ce que confirmera un second laboratoire, français, sollicité par les deux experts en joaillerie. Or, la différence de valeur de ces deux pierres est immense : le quartz chatoyant est relativement commun, tandis que le chrysobéryl œil de chat est rare, et fort recherché.
En principe, Mme X devrait accepter d’annuler la vente, et de rendre l’avance à Joron-Derem. Mais elle s’y refuse. La société de vente aux enchères n’a donc d’autre choix que de l’assigner en justice… bien qu’elle soit sa meilleure cliente. Le 14 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris prononce l’annulation de la vente pour erreur sur la substance, et condamne Mme X à rembourser les 14 000 euros avancés.
La société Joron-Derem poursuit la procédure, afin d’être indemnisée de la « faute » commise par les experts. Elle reproche à MM. Y et Z de s’être contentés d’un examen du bijou à l’œil nu, alors que, pour rendre leur avis, ils prenaient 6 % du prix d’adjudication, et qu’ils savaient que le quartz chatoyant et le chrysobéryl œil de chat sont très similaires.
La cour d’appel de Paris lui donne raison, le 4 octobre 2022. Elle considère que c’est « sans en établir la preuve » que les experts soutiennent qu’il leur était « impossible de mesurer l’indice de réfraction de la pierre, (…) sans [la] dessertir (…) ». Elle constate que le laboratoire d’analyses français précise avoir fait cette mesure, « la pierre sertie ». Elle juge donc que « MM. Y et Z ont commis une faute », et que « leur responsabilité doit être retenue ».
Elle les condamne à payer 3 000 euros au titre du préjudice matériel, qui résulte notamment de la privation des honoraires de vente, et 2 000 euros au titre du préjudice moral : la société, juge-t-elle, « a vu son image dépréciée, du fait que l’adjudication de l’un des lots les plus prestigieux de sa vente a fait l’objet d’une annulation en justice pour erreur sur la substance ».
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