Plusieurs centaines d’enfants de moins de 16 ans se sont blessés dans des accidents du travail depuis 2015 au Québec. Des rapports d’inspection de la CNESST montrent à quel point ces lésions étaient graves et, dans au moins un cas, mortelles.

Le 15 juin 2020, quand l’inspecteur du travail est arrivé à Saint-Martin, en Beauce, vers 11 h, la Sûreté du Québec était déjà sur place. À l’Atelier PJB, fabricant d’équipement industriel en acier, un agent avait déjà photographié la « scène d’accident ». Un chariot élévateur de deux tonnes s’était renversé. Le cariste avait été éjecté de la cabine et écrasé.

Dans le premier rapport d’intervention, le nom et l’âge de la victime ne sont pas précisés. Ils seront indiqués en toutes lettres, le 16 juin 2021, dans le rapport du coroner. Il s’agissait de Charles-Antoine Poulin. Il venait d’avoir 14 ans.

PHOTO TIRÉE DE L’AVIS DE DÉCÈS

Charles-Antoine Poulin

Ce rapport de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) sur l’accident qui a coûté la vie à « Charlo » (comme ses amis l’appelaient) est l’un des 13 « rapports d’intervention » obtenus par La Presse en vertu de la loi d’accès à l’information. Ils concernent des entreprises ayant embauché, de 2015 à aujourd’hui, des enfants de moins 16 ans.

Il n’y a aucun âge minimum pour travailler au Québec (contrairement à toutes les autres provinces). Les enfants sont obligés d’aller à l’école jusqu’à 16 ans pendant les heures de classe. Ils peuvent toutefois travailler tous les soirs de la semaine et tous les week-ends. Jusqu’à 13 ans, ils ont besoin de l’autorisation écrite d’un parent. À partir de 14 ans, ce n’est plus nécessaire.

Les rapports d’intervention permettent de comprendre à quel point les risques de se blesser sont divers et variés pour des enfants âgés de 13, 14 et 15 ans.

Nombreux accidents

Ce jour-là, Hubert*, employé d’entretien du zoo de Falardeau, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, est entré dans l’enclos du lynx de Sibérie. Le félin avait sauté sur le dos d’un collègue. Hubert a voulu lui porter secours. Il a réussi à le faire fuir, mais a été mordu à un bras et griffé au visage.

Ce jour-là, à la Fromagerie Gilbert de Saint-Joseph-de-Beauce, Pierre-Alexandre* faisait les grains bien connus des amateurs de poutine. Lorsqu’un bloc de fromage s’est coincé dans le moulin à fromage électrique, il s’est étiré le bras gauche pour le libérer. Un couteau lui a sectionné le bout des doigts. À l’hôpital, la première phalange de l’index a dû être amputée.

Ce jour-là, Alexis* travaillait aux Équipements Pontbriand, entreprise qui vend et répare des tondeuses à gazon en Estrie. Un client en avait apporté une, un modèle à essence, qui faisait un drôle de bruit. Pour trouver l’origine du problème, Alexis s’est penché sur la tondeuse en marche et a posé la main gauche sous le rebord du cadre. « Il a subi des coupures », note pudiquement le rapport de l’inspecteur.

Les accidents sont monnaie courante. Ainsi, 203 enfants de moins de 16 ans ont été indemnisés par la CNESST en 2021. Un chiffre officiel qui sous-estime leur nombre, selon les experts. Il ne faut pas forcément jeter la pierre aux employeurs, selon Denis Mailloux, un avocat qui a souvent défendu des jeunes au Tribunal administratif du travail. « Je ne pense pas que les employeurs soient de mauvaise foi, mais la question de la formation se pose : le parrainage des petits nouveaux est-il efficace ? »

Les scieries particulièrement dangereuses

Si on se fie à ces 13 rapports d’intervention, les accidents seraient plus fréquents en milieu rural.

Frédéric* travaillait pour un fournisseur de matériel pour érablières à Saint-Gédéon-de-Beauce, Équipements R. Quirion. En déchargeant un bassin d’eau d’érable d’une camionnette, il est tombé. Une chute d’environ deux pieds. « Son genou droit a viré à l’envers, souligne le rapport d’intervention, et il s’est fracturé la jambe. »

Lorsqu’il est question d’ados au boulot, les scieries semblent être particulièrement dangereuses. Le jour de l’accident, chez Clermond Hamel, entreprise de Saint-Éphrem-de-Beauce, Léo* devait ramasser la sciure de bois sous un rouleau de soutien. Comme l’espace entre ce dernier et le sol est inférieur à 10 centimètres, il devait s’allonger sur le ventre. Sa main est restée coincée entre le rouleau et la courroie d’un convoyeur. Un collègue a mis du temps à activer l’arrêt d’urgence. Résultat : la main de Léo a été « brulée » par la courroie, un « traumatisme physique important », estimera l’inspecteur.

Thomas*, chez Bardobec, dans la région de Chaudière-Appalaches, s’est coincé le bras. Il cherchait à libérer un morceau de bois qui était pris entre la courroie d’un convoyeur et un rouleau de soutien. Il a été hospitalisé pour de multiples blessures. (Des médias régionaux ont révélé qu’il avait 13 ans.)

Les jeunes n’ont pas les bons réflexes. Ils ne se posent pas trop de questions. Ils sont contents de travailler et veulent garder leur job. Ils n’analysent pas les risques.

MDenis Mailloux

Ces malheurs ne se limitent pas au monde rural. Le jour de l’accident, à Québec, Jacob* faisait équipe avec le conducteur d’un camion de déménagement. C’est à lui que revenait la tâche de tenir la rampe du véhicule pendant les marches arrière. Cette fois-là, Jacob n’y est pas arrivé. Lorsque le conducteur l’a entendu crier, la rampe l’avait déjà plaqué contre un mur. On lui a diagnostiqué « des contusions aux jambes (fémur) ».

Le ministre du Travail, Jean Boulet, songe à mieux encadrer le travail des enfants, phénomène que la pénurie de main-d’œuvre a, dit-il, « amplifié ». Le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre doit soumettre des recommandations le 8 décembre.

Selon la dernière Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire, 46 % des élèves de première secondaire travaillent pendant l’année scolaire. La plupart sont âgés de 12 ans.

* Les prénoms sont fictifs.

Vous pouvez joindre Michel Arseneault à l’adresse michel.arseneault@gmail.com