Femmes du vin : la crête, la vague et le marigot

ÉPISODE 2. S’extraire des préjugés n’est plus réservé à quelques femmes d’exception. Des collectifs affirment leur place dans le monde du vin.

Par Florence Monferran*

Salon Les Héritières de Bacchus, édition 2020.
Salon Les Héritières de Bacchus, édition 2020. © F. Monferran

Temps de lecture : 5 min

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Des cercles de vigneronnes expriment plus qu'une sociabilité : une entraide aussi bien morale que technique ou commerciale. Elles agissent pour sortir de l'isolement dû à leur faible nombre. Des précurseuses Aliénor d'Aquitaine (1994) aux Fa'Bulleuses champenoises (2015), en passant par les Vinifilles en Occitanie (2009), elles se regroupent au sein des Femmes du vin (2009) Un concours uniquement féminin, Féminalise, les met à l'honneur.

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À partir de 2017, ces cercles s'étendent à l'ensemble de la filière avec les Women do Wine, initiées par Sandrine Goeyvaerts. Elle vise à mettre en lumière cette présence grandissante des femmes dans tous les métiers, la singularité de leurs expériences. L'entraide prend alors des accents de sororité. Elle valorise l'image de ces professionnelles dans les médias, dans la lignée de l'ouvrage Vigneronnes (2019, Nouriturfu). Aujourd'hui, le podcast Filles de vignes reprend le flambeau de cette visibilisation.

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Sortir du marigot

Le territoire du vin constitue bien un marigot, considéré par quelques-uns comme « un domaine réservé, parfois lieu d'affrontements féroces » (Larousse). Un florilège de stéréotypes perdure. L'existence de vins « féminins », supposés fins et délicats, un palais prédisposé à préférer les vins blancs, la carte des vins tendue systématiquement aux hommes au restaurant, les appels téléphoniques où l'interlocuteur demande à parler au vigneron, la lassitude gagne à répéter les poncifs. Sans parler d'étiquettes de vins au goût douteux, voire très agressives. Certaines ont été retirées de la vente.

Repenser la répartition de tâches au sein de l'exploitation, utiliser la linguistique contestant les inégalités, la féminisation des noms de métiers en tête. Des collectifs en non-mixité organisent un espace privilégié de discussion, mais aussi de dégustation et de vente. Ces lieux servent de levier essentiel pour libérer la parole des femmes du vin, les sécuriser en cas de violences. Un livre pointe du crayon et de la plume le sexisme ordinaire, mais aussi les discriminations encore subies. Avec humour, à travers des « lampées sexistes », Alessandra Fottorino et Céline Pernot-Burlet les dénoncent dans In vino Femina (Hachette). Elles contribuent à susciter « les échanges entre femmes et hommes partageant un même combat pour l'égalité, sans radicalité ».

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Un avant et un après #MeToo

2017 marque une date clé dans l'histoire des femmes du vin. Sous ce hashtag repris en octobre dans le monde entier, la prise de conscience des discriminations que vivent les femmes n'épargne aucune classe, aucune profession, aucun lieu. Quelques mois auparavant, le monde du vin avait été secoué par la condamnation du caviste Marc Sibard pour des faits de harcèlement, et une agression sexuelle sur trois employées, dont la sommelière Emma Bentley. En septembre 2020, un hashtag, #payetonpinard apparaît sur Instagram. Transformé en association mi-2022, il recueille au quotidien, anonymement, les témoignages sur les inégalités, un sexisme ordinaire ou toutes formes de violences dans le milieu viticole. Il organise un soutien psychologique et juridique. À sa tête, Isabelle Perraud, vigneronne en Beaujolais, aimerait « une présomption de véracité dans le récit des femmes ». Elle s'attarde sur l'immense difficulté à porter plainte, pour déboucher rarement sur une procédure, avant une hypothétique condamnation. Une double peine menace : celle de se taire, qui est le lot commun, ou celle d'être écartée, comme Emma Bentley contrainte de s'expatrier en Italie.

Deux procédures judiciaires en cours alertent sur cette volonté de faire taire les femmes notamment lorsqu'elles investissent le champ public. Sandrine Goeyvaerts, victime de cyberharcèlement après avoir jugé du caractère sexiste d'une caricature, intente un procès au blogueur Vincent Pousson pour injures publiques en raison du sexe. Mais sur les réseaux sociaux, « je me fais attaquer dès que je publie quelque chose », raconte-t-elle. Quant à Isabelle Perraud, plainte a été déposée contre elle pour diffamation par Sébastien Riffaud, vigneron en vin nature, pour avoir republié des témoignages de l'étranger sur son comportement. En attendant, elle brave le départ de clients, menaces et pressions en tous genres.

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Un monde bio plus progressiste ?

Pour avoir écouté de nombreuses femmes du vin cette année, il apparaît que le monde des vins bio – longtemps avant-garde à l'écart elle aussi ! – offre un espace plus respectueux de la cause des femmes, ouvert au débat. Un constat surprenant montre même une courbe parallèle entre représentation accrue de femmes dans le vin et développement du vin bio à partir des années 1990-2000. La question mériterait d'être creusée. En revanche, c'est dans le monde des vins bio et nature que la parole se libère et que surviennent les affaires judiciaires. Le syndicat de défense des vins naturels a adopté une motion contre les violences faites aux femmes au nom de ses valeurs.

Au-delà des déclarations d'intention, Sandrine Goeyvaerts milite pour « écarter, sanctionner, mettre les femmes en sécurité ». La clé, pour Isabelle Perraud, réside dans la sensibilisation de tous les acteurs du vin, dans l'éducation de garçons et des filles dès les rangs de l'enseignement agricole. Elle entend développer la prévention par le biais d'affiches, présentées dans les salons. « Ce qui m'importe aujourd'hui, c'est qu'on respecte les femmes ». Il s'agit d'en finir avec l'impunité décrite par Hélène Devynck pour le monde des médias.

Investir aussi les instances

Plus présentes dans tous les métiers de la vigne et du vin, rendues plus visibles par leur travail collectif, surfant individuellement sur quelques sommets, des femmes entendent aujourd'hui investir les instances dirigeantes. Leur revendication ne fait pas l'unanimité, crispe des bastions masculins, expose les avant-gardes à des déferlements de haine. Pourtant, avec entêtement, elles nous invitent à sortir d'un modèle antédiluvien oppressant pour construire une société égalitaire. Le vin fournit un angle d'approche extraordinaire, dans sa sociabilité, par une forme de langage universel comme dans son ancrage dans une nature malmenée, au cœur des enjeux contemporains décisifs. Il s'y englobe pour mieux démontrer la nécessité de plus en plus impérieuse de changer de paradigme général dans nos sociétés humaines, dans le respect du vivant, de tous les autres.

*Historienne, chercheuse diplômée de l'université Jean-Jaurès à Toulouse, vigneronne aujourd'hui près de Montpellier, Florence Monferran s'attache depuis une dizaine d'années à mettre en lumière des patrimoines et des terroirs de grande qualité, des vins et des cépages du Languedoc. En 2020, elle a fait paraître l'ouvrage Le Breuvage d'Héraclès, aux éditions Privat.

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Commentaire (1)

  • Jean Michel Apeupré

    Elles ont commencé par fumer plus que les hommes, maintenant elles picolent autant. Pas de raison qu’il n’y ait pas autant de pochtrones que de pochtrons, c’est ça l’égalité.