Dans le fond d’un hangar de la banlieue de Grenoble, trois hommes sont penchés sur une notice de montage. Autour d’eux, des carcasses de cabines photo s’alignent. Le trio vérifie que chaque étape du câblage de la machine est claire et reproductible. A la tête des opérations, Noël Guyet, cogérant de l’entreprise angevine ADGV tôlerie, s’applique. Avec quelques-uns de ses gars, il est venu ici, au siège de Me Group, propriétaire de la marque Photomaton, pour se former au montage de la nouvelle génération de cabines. A partir de janvier, ADGV tôlerie fabriquera l’Evobooth, un modèle aux fonctionnalités décuplées. Rapidement, le partenaire angevin devra en sortir 300 exemplaires par mois. Les précédentes générations étaient produites en Chine ou en République tchèque.

Une relocalisation possible grâce au succès de cette marque mythique, dont les ventes ont crû de plus de 15% l’an dernier. A l’ère du tout numérique, Photomaton fait de la résistance. Avec un taux de notoriété proche de 100% dans l’Hexagone, la griffe est devenue un nom générique, comme Kleenex ou Caddie. Hors de nos frontières, l’entreprise s’impose sous d’autres labels (Prontophot en Italie et en Suisse, Photo-Me au Japon, au Royaume-Uni et en Irlande, Fotofix en Allemagne), et ses 28.000 cabines installées dans le monde tirent 24 millions de portraits par an, dont la moitié en France. Même au Japon, nation d’industriels de la photo s’il en est, ses cabines dominent le marché.

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A l’origine, la marque n’a pourtant rien de français ou japonais. C’est un immigré russe qui conçoit la première cabine photo à New York en 1925 et dépose le nom Photomaton. A cette époque, l’appareil délivre une bande de huit images, pour la modique somme de 25 cents. Il vous en coûtera aujourd’hui entre 6 et 8 euros pour une planche de quatre.

En 1994, l’entreprise Kis, spécialiste de la production minute (photo, clés, talons, cartes de visite…), fusionne avec le suisse Prontophot, leader de la cabine photo, et récupère dans la corbeille de la mariée la marque Photomaton que ce dernier avait rachetée. Une union inattendue qui donne encore à ce jour un drôle de mélange. Me Group est effectivement basé à Echirolles dans l’Isère mais est coté à Londres (!).

Il se présente comme le spécialiste des services automatiques (kiosque à pizza, laverie automatique, machines à jus de fruits Sempa…) et réalise 63% de ses 249 millions d’euros de chiffre d’affaires via son activité photo. Le Français Serge Crasnianski, 80 ans, fondateur de Kis, qui se réclame de l’invention de la clé minute et du photocopieur couleur, est le premier actionnaire du groupe (36%), aux côtés de trois fonds et de 34% de capital flottant. Pour les investisseurs, le placement est solide: le cours de l’action Me Group a plus que doublé en dix ans.

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Le parc de cabines et son maillage, notamment en France, expliquent l’assise du groupe et l’incroyable résilience de sa marque phare. Photomaton a su se rendre incontournable et indispensable. Alors qu’il ne reste que 5.000 photographes professionnels dans l’Hexagone, le service cabine s’affiche dans la plus petite sous-préfecture, avec 8600 machines en fonctionnement. Et pour cause: la marque assure un quasi-service public en vendant des images conformes aux normes pour les pièces d’identité officielles.

Chez Me Group, on parle d’un marché «régalien» qui pèse plus de 70% de l’activité photo. Pour l’entreprise, c’est un chiffre d’affaires stable et sécurisant, mais qui impose d’importants coûts de structure. «Photomaton se doit d’être présent dans la moindre miniville», confirme Nathalie Lamri, directrice marketing de Me Group. En moyenne, les cabines françaises sont occupées seulement un quart d’heure par jour... C’est peu! Certaines comme à Mazerolles (86), Libourne (33), Albi (81) ou Laon (02) ne tirent que deux portraits par mois.

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Si une grande part de ses machines n’étaient pas amorties depuis longtemps, l’entreprise ne pourrait pas maintenir un tel service. Les modèles anciens, bien rentabilisés, sont facilement reconnaissables: ce sont ceux qui ont le tabouret auquel on donne un tour ou deux pour être à la bonne hauteur face à l’objectif…

Malgré ces services rendus à la nation, Photomaton a failli perdre cette manne en 2008. Cette année-là, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) qui édite les normes pour la délivrance des passeports, carte d’identité et autres, a décidé de dématérialiser la photo en la produisant au guichet des administrations. Ceux qui ont refait un document officiel à cette époque s’en souviennent. A l’aide d’une caméra installée sur son ordinateur, la secrétaire de mairie essayait tant bien que mal de tirer le portrait des citoyens. Problème de recul, d’éclairage, de fond… La préposée à la photo s’arrachait les cheveux et le citoyen ne reconnaissait pas les siens… Bref, ça tournait vinaigre.

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Les photographes professionnels, qui risquaient de tout perdre, se sont engouffrés dans la brèche. «Entre 6.000 et 8.000 emplois étaient menacés. Nous avons fait un travail de lobbying pour défendre notre métier», se souvient Philippe Paillat, président de la Fédération nationale de la photographie. Il organise la riposte avec les Canon, Fuji, Photomaton et autres. La campagne est un succès. En 2015, l’Etat fait machine arrière et exige de nouveau des photos certifiées par un professionnel, qu’il soit humain ou automate. «On a sauvé les ventes», se réjouit Philippe Paillat. Particulièrement celles de Photomaton dont les cabines, souvent disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, emportent la mise.

Quelques années plus tard, nouvelle menace. Dans l’ombre des institutions européennes, les Allemands veulent imposer dans un projet de norme une distance minimum de 1 mètre entre le nez du sujet et l’objectif du photographe, afin de garantir l’efficacité de la reconnaissance faciale. Problème: les cabines Photomaton ont un recul de 70 à 85 centimètres maximum. Et leur taille est contrainte. Si la norme est confirmée, c’en est fini du marché régalien.

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«A cette époque, Photomaton n’était pas impliqué dans les questions de standardisation, c’est l’ANTS qui nous a alertés», raconte Christian Croll, responsable des projets biométriques chez Me Group. En quelques mois, l’homme prend les choses en main, aidé par Gemalto et Idemia, entreprises spécialisées dans la cybersécurité… Il découvre que les algorithmes de reconnaissance faciale allemands sont d’ancienne génération. Solide étude scientifique à l’appui, Christian Croll démontre qu’un minimum de 50 centimètres suffit à faire des photos sans distorsion de l’image. La victoire est telle que la norme «ICAO Portrait quality v1 2018» (sic) reprend des parties de l’étude et même des portraits de Christian Croll en personne réalisées pour l’occasion!

Il n’empêche, ces deux coups de chaud font prendre conscience à Photomaton de l’importance de dédier une équipe à ces sujets. «Nous avons été bousculés et ça nous a réveillés, nous sommes devenus proactifs dans l’édition de normes», explique Christian Croll. Désormais, la marque est même à l’avant-garde sur la question de l’e-photo. Déjà exigible pour le permis de conduire, celle-ci pourrait être généralisée dès 2024 à l’ensemble des documents d’identité.

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Or, avec ses processus à jour, ses serveurs sécurisés et sa certification ANTS, l’entreprise est prête. Et dispose même d’une longueur d’avance pour gagner le marché allemand où l’e-photo sera déployée en 2025. Le prochain cheval de bataille de Christian Croll sera la lutte contre l’usurpation d’identité. L’entreprise ira d’ailleurs au prochain CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas, le grand salon du high-tech, pour présenter sa cabine biométrique capable de détecter toute tentative de fraude.

S’il est vital de garantir le socle régalien, l’entreprise pousse aussi le marché des photos ludiques. Derrière le rideau, il n’est pas rare d’apercevoir trois ou quatre paires de baskets bouger en tous sens et d’entendre des rires. «Entrer dans une cabine à plusieurs ou avec son amoureux, c’est comme une mini-attraction de fête foraine», s’enthousiasme Nathalie Lamri en rappelant qu’il est possible de choisir un fond drôle, ou d’ajouter aux visages des oreilles de chat... Charge à la marque de rendre ses machines aussi visibles que désirables. Pari réussi avec ses sièges lumineux – Photomaton paie d’ailleurs chaque année depuis dix ans une redevance au studio de création Philippe Starck pour le design de son écrin haut en couleur.

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La marque installe aussi des bornes d’impression minute à côté des cabines pour créer un pôle image. Certes, le smartphone a révolutionné le secteur en mettant un appareil photo dans toutes les mains, mais leurs utilisateurs sont confrontés à un problème de sauvegarde. «Le tirage est le seul moyen de garder une photo souvenir dans le temps», rappelle Philippe Paillat. Pour qu’il soit assuré, les ingénieurs de Me Group sont en veille permanente afin que leurs machines restent compatibles avec tous les téléphones et toutes les cartes mémoire.

Enfin, pour ne rien rater de la fête, l’entreprise s’est aussi lancée, grâce au rachat de l’entreprise spécialisée VIP Box, sur le segment porteur de la location de bornes photos, ces appareils grâce auxquels les invités d’un mariage peuvent prendre des selfies seuls ou à plusieurs, parfois grimés. Me Group a déjà réalisé 8 millions d’euros de chiffre d’affaires sur ce marché l’an dernier. Un eldorado à l’image plutôt nette qui se dessine.

La nouvelle cabine Photomaton embarque le top de la technologie dans 2 mètres carrés

Caméra de 12 millions de pixels, ordinateur plus puissant, photo 3D biométrique… Baptisé Evobooth en interne, le nouveau modèle de la marque offre non seulement le meilleur de la photo (qualité d’image, filtres Instagram) mais aussi une utilisation simplifiée (écran tactile, cliché de passeport en trois clics…). Surtout, il lui ouvre la porte de nouveaux marchés : grâce à son niveau de sécurité, cette cabine de fabrication française se rêve en point relais postal ou bancaire, en spot de visioconférence, en centre de diagnostic santé ou même en lieu de connexion au métavers.