“Alternatives au gazon”, les remèdes d’Olivier Filippi face à la canicule

Fertilisation, arrosage, tonte… la trilogie maudite pour les Français qui possèdent un jardin. En période de sécheresse, ces efforts sont anéantis par les interdictions d’arroser qui transforment la pelouse en moquette jaune. Il existe pourtant de très nombreuses “alternatives” recensées par le paysagiste Olivier Filippi dans son livre sur le gazon.

La pelouse est finalement un invention récente des jardins.

La pelouse est finalement un invention récente des jardins. Photo Sophie Chivet / Agence VU

Par Vincent Remy

Publié le 17 juillet 2023 à 10h00

Mis à jour le 28 septembre 2023 à 10h26

Dans l’histoire millénaire des jardins, le gazon est une invention récente. Au XVIIIe siècle, le paysagiste André Le Nôtre compose à Versailles pour Louis XIV un tapis vert aussi géométrique que les bassins qu’il a créés. Mais le modèle du « jardin à la française » restera cantonné aux châteaux, car la fauche manuelle de la pelouse demandait une main-d’œuvre considérable. À la même époque, même phénomène en Angleterre où l’aristocratie raffole des grandes étendues de pelouses, mais vallonnées et ponctuées de bosquets d’arbres. Là encore, ce « faux naturel » est réservé aux heureux du monde, et dès la fin du XIXe siècle, des intellectuels et artistes anglais, proches du mouvement réformateur Arts and Crafts, inventent de belles alternatives, qu’évoque cette grande passionnée des jardins qu’était Vita Sackville-West, amie de Virginia Woolf. Elle imagine des pelouses de camomille ou de thym « qui réduisent l’usage de la tondeuse », rêve de jardins dallés, parsemés de « matelas de joubarbes jaunes, de coussins d’œillets, de ruisseaux de violettes ». « Chaque jardinier devrait être un artiste avec une idée en tête, écrit-elle. Le jardin le plus exigu est souvent le plus beau. Regardez les jardins de nos cottages, si vous en doutez. »

À la femme les ustensiles ménagers, à l’homme la voiture et la tondeuse

Mais c’est aux États-Unis que l’euphorie consumériste de l’après-guerre va avoir raison de la poésie : à chacun son pavillon, et gazon pour tous. Davantage qu’une activité de jardinage, le gazon devient, souligne Olivier Filippi, « un symbole d’intégration, de respectabilité et de bon voisinage. » À la femme les ustensiles ménagers, à l’homme la voiture et la tondeuse. Dans certains comtés, le fait de ne pas tondre son gazon à la bonne hauteur est passible d’une amende. Engrais, pesticides, arrosage automatique et finalement gazons transgéniques mis au point par Monsanto vont permettre d’obtenir un tapis débarrassé de toute vie exogène – « mauvaises herbes » et insectes. Ce modèle gagne la planète.

Ce n’est bien sûr pas un hasard si les premiers mouvements « anti-gazon » voient aussi le jour aux États-Unis, à la toute fin du XXsiècle. Une nouvelle génération de jardiniers dénonce son anachronisme. Las Vegas met en place, dès 1999, un important programme de subvention pour l’arrachage du gazon. On le remplace par des couvre-sols économes en eau. Un vaste mouvement promeut le « freedom lawn », pelouse en liberté, qui laisse se développer, trèfles, pissenlits ou pâquerettes…

Quand la vie revient dans le jardin

En France, la loi Labbé interdit l’usage des pesticides dans les espaces publics depuis le 1er janvier 2017 et dans les jardins privés depuis le 1er janvier 2019. Les paysagistes sont donc contraints d’expérimenter des alternatives au « modèle gazon ». Les collectivités locales sont les premières à associer dans les massifs publics plantes vivaces et graminées ornementales, sur le modèle des « mixed borders » anglais, qui créent des scènes vivantes, évolutives en fonction des saisons. Plus radical, Gilles Clément – « Je hais les gazons » – considère la friche comme modèle du jardin en mouvement, où le jardinier observe et guide la trajectoire d’évolution naturelle du paysage. D’autres suppriment leur gazon pour consacrer une large place au potager ou au verger.

Éloge de la diversité

« S’engager sur la voie passionnante des alternatives au gazon, c’est avant tout refuser la banalisation du paysage, poursuit Olivier Filippi, c’est ne plus considérer le jardin comme un espace plan et monocolore, mais une composition en trois dimensions, offrant des jeux de volumes, de couleurs et de lumières en perpétuel mouvement. » Auxquels s’ajoutent les arômes et les parfums… Les alternatives au gazon sont infinies, à commencer par les couvre-sols, pas seulement faits de plantes rampantes et « tapissantes », mais de toutes sortes d’herbacées, de petits arbrisseaux et même de plantes grimpantes comme le lierre ou le chèvrefeuille qui, lorsqu’elle ne rencontrent pas de support, courent sur le sol. Les couvre-sols créent ainsi des volumes variés. Le résultat est encore plus spectaculaire dans les pays secs, où des plantes peu exigeantes en eau peuvent s’épanouir sur des sols cahoteux. Aux graminées qui composent les gazons traditionnels et qui ne résistent pas à la sécheresse, Olivier Filippi suggère de substituer les « graminées macrothermes », moins gourmandes en eau, qui ont développé des stratégies de résistance, plongent leurs racines, ferment leurs stomates pendant la journée et les ouvrent à la nuit tombée. On en trouve désormais couramment dans les jardinières du sud de la France.

Toujours plus secs, toujours plus chauds

Pour les climats très secs, Olivier Filippi recommande le jardin sur gravier, parsemé de plantes en coussin ou en boule. Cette alternative au gazon est une des plus adaptées pour accueillir l’extraordinaire diversité de plantes, souvent de couleur grise, bleutée ou argentée, qui s’accommodent de la sécheresse. Les murets et escaliers de pierre sèche, tradition dans les pays méditerranéens, pourraient bien se développer dans des régions plus septentrionales. Dans les civilisations perse et arabe, et ce dès l’Antiquité, le jardin, rappelle Olivier Filippi, n’était pas conçu comme une surface plane mais un espace dans lequel on pénétrait par des cheminements qui permettaient de circuler au travers de l’épaisseur des massifs. Et la tradition a perduré. Le jardin converge vers un bassin central. Les dallages sont des œuvres d’art. L’eau est utilisée avec parcimonie, par une subtile irrigation en profondeur. Un végétal adapté permet de lutter contre la sécheresse, mais aussi contre les orages qui menacent de tout emporter. Car une chose est sûre, il va falloir apprendre à vivre avec les extrêmes, et savoir recommencer un jardin…

À lire

Éd. Acte Sud/Klincksieck

Alternatives au gazon d’Olivier Filippi, éd. Actes Sud, 258 p. illustrées, 36 €.

Journal de mon jardin de Vita Sackville-West, éd. Klincksieck, coll. De Natura Rerum, 388 p., 17,50 €.

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