« Je suis célibataire, et chaque rencontre sexuelle me ramène à mon complexe des seins : je fais un 75A, je me sens plate et je vois bien que lors des rapports, il n’y a rien à toucher, rien à attraper, rien à aimer, et ça me dépite », confie Audrey, 30 ans, qui, paradoxalement, a appris à supporter ses seins dans la vraie vie, entre vêtements qui la mettent en valeur, push-up si l’humeur le réclame, et réflexe d’attirer l’attention sur son visage, sa façon de parler ou de faire rire. « Pendant l’amour, je rougis et je n’ai rien à dire, si bien que ce qui m’aide au quotidien à vivre avec mon corps ne me soutient pas une fois dans l’ intimité », analyse-t-elle.

« Le sexe met à nu », commente la sexologue Diane Deswarte, aussi fondatrice du Club Kamami. Au lit, le soutien-gorge bien coupé n’est plus là pour nous épauler, pas plus qu’un quelconque talent caché. Soudainement, nos seins se retrouvent presque au centre de la scène, tels deux composants du plaisir incontournables, à regarder, stimuler, accrocher : le malaise est susceptible de s’installer. D’où vient-il et comment accepter ses seins, leur potentielle discrétion et leur « manque de prise » dans une société qui accorde une certaine importance érotico-esthétique à la poitrine ?

Seins dévoilés, grosse vulnérabilité ?

C’est un fait : dès lors que le corps est dévoilé dans un contexte de rencontre et d’excitation sexuelle, et tandis qu’aucune parure ne peut venir l’habiller, le transformer, le raconter, il apparaît donc comme un ensemble de zones érogènes « à l’état pur », et les seins sont principalement concernés par cette réalité : « Malgré le mouvement no-bra, nous avons l’habitude de voir des seins soutenus, et, résultat malheureux, nous ne sommes pas toujours à l’aise quand il s’agit de les exposer au naturel », commente Diane Deswarte.

Nous ne sommes pas toujours à l’aise quand il s’agit d'exposer nos seins au naturel

On pourrait, évidemment, s’en moquer, mais si notre poitrine nous rend si vulnérables et si proches du complexe, c’est notamment parce que « les seins demeurent une zone très sexualisée dans notre culture », explique Diane Deswarte, qui développe : « Les seins sont plus visibles que la vulve, ils demeurent un attribut féminin qui existe en dehors de la sexualité, ce qui nous laisse penser que c’est via cette partie du corps que l’on se met en avant et que l’on se présente à l’autre ». Une sorte de porte d’entrée, souvent abordée en premier lieu lors des préliminaires, de quoi expliquer notre sensibilité au sujet de leur apparence.

Les seins, ingrédient de l’érotisme parmi d’autres

« Lorsque les femmes complexent d’avoir des seins trop discrets, c’est souvent parce qu’elles pensent qu’il leur manque un ingrédient au plaisir et à l’érotisme », remarque Pauline Dubuche, auteur de «  Bonjour mon corps » (éd. First), et animatrice du compte Instagram du même nom. Audrey témoigne de cette idée en ses mots : « C’est comme si la nature m’avait privée d’une part de ma sensualité : à mes yeux, les seins font partie de la féminité, voire des outils dont on dispose pour s’exciter, se toucher, jouir », dit-elle.

Pour rassurer la jeune femme, la sexologue Diane Deswarte propose de voir la sexualité comme un jeu de cartes : « Il est impossible d’avoir toutes les cartes en mains, et heureusement ! Si on imagine que nos seins ne participent pas assez aux rapports, quelles autres parties du corps pouvons-nous investir, ou quelles pratiques pouvons-nous convoquer ? », questionne la spécialiste. En effet, nos seins sont loin d’être les seuls gardiens de notre érotisme. Mieux, ils ne souhaitent même pas tirer la couverture à eux tant le corps en entier est acteur du plaisir.

Plus il y a matière, plus c’est bon ?

« J’aimerais avoir de beaux seins bien tenus, qu’un partenaire agripperait pour mon plaisir et pour le sien, pas des seins sur lesquels on glisse ! », s’exclame Audrey. D’où vient ce fantasme d’arborer une poitrine qui soit physiquement présente au rapport, se dresse fièrement et se fonde aux caresses d’un partenaire ? Derrière cet espoir se loge le désir de proposer « de la matière », pour ressentir du plaisir en étant saisie, voire dominée, mais aussi pour en offrir à la personne en face.

Les hommes aiment les grosses poitrines ? Il ne s’agit que de croyances

En effet, dans l’inconscient hétérosexuel collectif, les hommes aiment les seins, les décolletés suggestifs, les poitrines gracieuses, raison pour laquelle, très certainement, nombre de femmes espèrent arborer des seins bien ronds pour satisfaire celui qui ne saurait s’en passer. « Il ne s’agit que de croyances », explique Diane Deswarte, « et la taille des seins ne désigne pas la place qu’ils prennent dans le rapport : nous pouvons leur accorder la place que nous souhaitons, selon le plaisir qu’ils nous procurent, avant même de penser au plaisir qu’ils sont censés engendrer chez l’autre. » L’occasion de rappeler, au passage, que le plaisir mammaire est avant tout une question de rapport à ses propres seins que de taille : « On ne dispose d’aucune étude fiable, toujours étant qu’un regard positif sur sa poitrine participe certainement à des sensations agréables », ajoute la sexologue.

Sortir du « spectatorisme » et accepter l’inconfort

La sexologue Diane Deswarte suggère, pour aller plus loin, de sortir du « spectatorisme », soit le fait « de se regarder faire (l’amour) » plutôt que de vivre son plaisir. En d’autres mots : essayons d’être en nous, plutôt qu’assise à côté, à épier l’image que l’on renvoie. Cela passe par un voyage dans son corps, à l’affût de ses sensations, et une connexion au moment présent, au contexte, au lieu, au partenaire.

Quant à utiliser des stratagèmes, façon tee-shirt que l’on garde ? Pauline Dubuche explique que ce genre de solutions nous mènent bien souvent à penser davantage à notre complexe. « À l’inverse, faire l’amour dans le noir pourrait être le stratagème idéal, car le sexe dans la pénombre fait partie de la sexualité et renforce parfois l’excitation, d’autant plus qu’il libère du regard de l’autre », dit-elle. Enfin, elle propose « d’accepter l’inconfort » : oui, une part de nous n’est pas à l’aise avec cette poitrine qui pourrait être différente mais ne l’est pas, alors identifions toutes les zones de confort à notre disposition, celles qui font du bien. Parfois, il pleut, et cela ne nous convient pas, nous prenons nos dispositions pour nous rendre la vie plus agréable. Faisons pareil au lit : ciel gris à cause de nos seins ? Cherchons un maximum de confort (bougie, draps doux, tendresse, caresses adaptées…) pour que l’inconfort causé par nos seins s’envole. Autrement dit, « dansons sous la pluie », conclut la sexologue.